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Liberté, égalité, fraternité |
On est prié de voir dans la formule
un appel sublime au sacrifice. La liberté, l'égalité, la fraternité, ou
la mort ... La mort pour moi, bien sûr, si je trahis cette noble
aspiration ! En réalité, cette interprétation romantique est
complètement fausse. Pour retrouver la vérité de la formule, il faut
remonter à sa naissance. Elle est attribuée à Robespierre. Dans un discours imprimé mais jamais prononcé à la date indiquée, à propos de l'organisation des gardes nationales, le grand révolutionnaire propose un décret dont l'article XVI serait : "Elles (les gardes nationales) porteront sur leur poitrine ces mots gravés : LE PEUPLE FRANÇAIS, & au-dessous : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation." C'est la Commune de Paris qui adoptera la formule. Son maire, Jean-Nicolas Pache, fait peindre sur les murs des bâtiments municipaux, en 1793 : "La République une et indivisible - Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort". Unité, indivisibilité, mort : là, au moins, les trois termes sont en cohérence. La mort est une et indivisible. Les deux formules jumelles "République une et indivisible" et "Liberté, égalité, fraternité", souvent fusionnées, illustrent la rencontre de deux rêves, de deux ambitions, de deux certitudes. Le rêve de l'égalité républicaine des Jacobins y a rejoint le rêve de liberté et de fraternité universelle des Sans-culottes parisiens. C'est aussi la rencontre de deux ambitions : celle des provinciaux venus à Paris aux Etats-généraux de 1789 et celle des révolutionnaires parisiens qui y ont vu l'opportunité de soumettre à leur pouvoir les provinces "réputées étrangères", la Bretagne de Lanjuinais et l'Artois de Robespierre. On sait que la dictature est le fruit d'une certitude, alors que la démocratie naît souvent d'un doute. Les formules jumelles établissent une relation entre la certitude jacobine que la nation française est unique, dans tous les sens du terme, et la certitude de la Commune de Paris de représenter, à elle seule, les intérêts et les aspirations de toute la nation. Les Jacobins voulaient une république une et indivisible, centralisée sur Paris. Les révolutionnaires parisiens se considéraient légitimes pour exercer un contrôle populaire sur un tel gouvernement. Que devenaient dans cette histoire les peuples réels, le peuple breton en particulier ? Leur présence devenait inutile dans l'espace public. L'état-nation a rendu les peuples superflus, comme l'a dit si justement Friedrich Sieburg, l'auteur ironique de "Dieu est-il Français ?" Les deux formules "une et indivisible" et "Liberté, égalité, fraternité", ensemble ou séparément, sont devenues populaires au moment de la Terreur. La première condamnait le fédéralisme. Les événements rendaient la signification de la seconde évidente pour tous : La mort pour ceux qui n'ont pas les mêmes certitudes et le même vocabulaire que les dictateurs au pouvoir. La formule a été appliquée dans toute sa logique meurtrière jusqu'au 28 juillet 1794, 9 Thermidor, date du renversement du tyran. |
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