Indivisible (une et ... )

" Molécule : L’ultime et indivisible unité de matière. Elle se distingue du corpuscule qui est aussi l’ultime et indivisible unité de matière, par une ressemblance plus marquée avec l'atome qui est une autre ultime et indivisible unité de matière."

(Ambrose Bierce (1842-1913), Dictionnaire du Diable)

Les Français n’ont pas été les premiers a proclamer une république une et indivisible

A l’extinction de la dynastie royale des Jagellon, qui régnait sur la Lituanie, la Pologne et les provinces voisines, les conseillers du royaume proclamèrent le 28 janvier 1573 la Confédération de Varsovie.

Nous, conseillers du Royaume de Pologne, tant ecclésiastiques que séculiers, et universellement la noblesse et Etats de la République une et indivisible de la Grande et Petite Pologne, Grand-Duché de Lituanie, Cujavie, Vollinie, Russie, Podlachie, terres de la Prusse, Samogitie, Livonie et des autres cités sujettes audit royaume.

Savoir faisons par ces présentes à tous qu'il appartiendra, en souvenance perpétuelle de ceci, que pendant ce dangereux état de royaume, auquel nous avons été sans roi et souverain seigneur, nous nous sommes donné peine principalement aux commices de Warsovie, à l'exemple de nos ancêtres, de pouvoir conserver et retenir entre nous la justice et équité avec un ordre juste et l'action de la République, par quoi toutes ces choses ci-écrites, d'un commun consentement de tous, nous promettons de garder sainctement et d'obliger à ceci notre foi, honneur et nos consciences:

En premier lieu, que nous ne serons jamais en désaccord entre nous, ni n'admettrons aucun démembrement, ainsi qu'il est décent à ceux qui veulent demeurer en un corps unique et indivisible d'une république.(…)

Bien évidemment, la république indivisible se divisa, et même plusieurs fois. Un premier partage entre la Prusse, l'Autriche et la Russie eut lieu moins de 200 ans plus tard, en 1772. Il y eut un second partage en 1793, puis un troisième en 1795.

Un peu plus de deux siècles après la Confédération de Varsovie, L'article premier du titre II de la Constitution française de 1791 proclame que " le Royaume est un et indivisible ".

Le 25 septembre 1792, quatre jours après l'abolition de la royauté, un débat s'engage au sein de la Convention nationale.

C’est Danton qui revient sur l’indivisibilité.

" On prétend qu'il est parmi nous des hommes qui ont l'opinion de vouloir morceler la France; faisons disparaître ces idées absurdes, en prononçant la peine de mort contre leurs auteurs. La France doit être un tout indivisible : elle doit avoir unité de représentation. Les citoyens de Marseille veulent donner la main aux citoyens de Dunkerque.
Je demande donc la peine de mort contre quiconque voudrait détruire l'unité en France, et je propose de décréter que la Convention nationale pose pour base du gouvernement qu'elle va établir l'unité de représentation et d'exécution. Ce ne sera pas sans frémir que les Autrichiens apprendront cette sainte harmonie ; alors, je vous jure, nos ennemis sont morts".

Robespierre acquiesce, tout en se plaignant comme d’habitude des accusations et des menaces qui pèsent contre lui, et en soupçonnant un complot. La Convention passe enfin à l'ordre du jour. Après quelques discussions sur la rédaction du principe, elle déclare que "la République est une est indivisible".

La Constitution de 1793 reprend ce principe dans l'article premier, " la République est une et indivisible ".

La Constitution de 1795, qui instaure le Directoire, confirme que " la République française est une et indivisible ". L’indivisibilité ne sera pas remise en cause jusqu’à nos jours, bien que la France soit passée de 83 à 130 départements (sous Napoléon), ait gagné et perdu des colonies, et soit redescendue aujourd’hui à 100 départements (dont 4 outre-mer).

Les Etats se divisent de plus en plus...

Il existe aujourd'hui 193 Etats reconnus par l'ONU, dont 126 ont moins de 60 ans.

Les experts prévoient de 500 (le NBER/USA) à 1500 (J. Attali) Etats ou para-Etats avant la fin du XXIème siècle.

D'après l'étude du Professeur Göran HANSSON (Suède) - Colloque de Copenhague sur la régionalisation et la liberté des identités - Août 1998.

- Il y aurait environ 5 600 peuples-nations sur notre terre.

- Un peuple-nation, par définition, est un ensemble d'êtres humains partageant la même histoire longue.

- L'Union Européenne élargie compterait plus de 120 peuples-nations.

- Le nombre serait approximativement comparable en Russie (République Fédérative de Russie).

Le site www.ethnologue.com référence 6 912 langues humaines différentes sur terre, sans compter les dialectes de chacune d'entre elles. L'identification de ce qu'est une langue et un dialecte y est traité.
Les références bibliographiques sont impressionnantes.

L’indivisibilité, un concept pataphysique

Que la république française veuille être une, unie ou unificatrice, je n’y vois là rien à redire. L’unité est un concept très consensuel. C’est l’utopie des religieux, la tranquillité des bourgeois et la justification des militaires.

L’indivisibilité est d’une autre nature que l’unité. C’est, au delà de la négation du droit de sécession, l’affirmation péremptoire d’une loi physico-politique délirante : le démembrement de la république française, qu’on le veuille ou non, serait impossible.

La théorie des atomes a été élaboré par les philosophes grecs, en particulier Démocrite. Ils pensaient que la matière pouvait être divisée jusqu’au grain ultime, qu’ils ont appelé « a-tome », qui signifie « l’indivisible».

A partir du XVIIIème siècle, l’atomisme s’est imposé dans les sciences. Les atomes ont été identifiés : l’hydrogène dans les années 1760, l’oxygène dans les années 1770. L’atome était alors la brique élémentaire de la matière.

Et puis l’indivisibilité de l’a-tome, de la particule non-divisible, éclate. Les scientifiques s’aperçoivent que l’atome n’est pas une particule homogène. En 1897, Thomson découvre l’électron. Rutherford construit un modèle de type planétaire, avec les électrons qui gravitent autour d’un noyau central. Au cours du XXème siècle, le modèle se complexifie et les particules élémentaires se multiplient. Le noyau lui-même est composé de plusieurs éléments, comme le proton, qui peut lui aussi se diviser en quarks. L’homme fait exploser l’atome. L’indivisible, malgré son nom, se divise. C’est la fission du noyau atomique, qui conduira aux premières bombes nucléaires.
Les physiciens n'arrêtent pas de découvrir , dans la structure de l'atome, de nouvelles particules élémentaires...

( Chrétiens et athées américains unis par un même dogme)

L’indivisibilité fait de la république française un objet politique doté d’une qualité inconnue dans le monde physique, dans le monde réel. Aucun objet complexe – et Dieu sait si une république est un objet complexe - n’est indivisible.

A cette affirmation d’indivisibilité de la part d’une nation qui a connu de terribles guerres civiles et un territoire jamais stabilisé, le monde répond par un silence poli ; la franchise voudrait qu’un éclat de rire général (comme celui de Démocrite) vienne saluer cette prétention.
Même les Français n’y croient pas une seconde. En effet, pourquoi réprimer les séparatismes si la séparation est impossible ? Pourquoi ces transes contre le communautarisme ? Pourquoi ces angoisses face aux diversités linguistiques ou aux religions ?

(Droite et gauche républicaines françaises unies par un même ...)

Pourquoi le guerrier, s'il est persuadé de son invincibilité, porte t’il une si lourde cuirasse ?

Contreculture / Indivisibilité Version 1.0