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Le Chevalier de la BarreIcône de la libre pensée françaiseEnlevez
votre chapeau quand vous passez devant sa statue
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(...) Le
chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant
général
des armées, jeune
homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance (...)
Voltaire
/ source 2
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[M.
d'Etallonde, accusé de complicité du chevalier de
la
Barre] : Né
gentilhomme
dans votre brave et fidèle province de Picardie, mon nom est
d'Étallonde de
Morival. Plusieurs de mes parents sont morts au service de
l'État. J'ai un
frère capitaine au régiment de Champagne. Je me
suis
destiné au service dès mon
enfance (...)
Je savais déjà très bien l'allemand: frappé du mérite militaire des troupes prussiennes, et de la gloire étonnante du souverain qui les a formées, j'entrai cadet dans un de ses régiments. Ma franchise ne me permit pas de dissimuler que j'étais catholique, et que jamais je ne changerais de religion : cette déclaration ne me nuisit point, et je produis encore des attestations de mes commandants, qui attestent que j'ai toujours rempli les fonctions de catholique et les devoirs de soldat. Je trouvai chez les Prussiens des vainqueurs, et point d'intolérants. Le roi de Prusse, qui entre dans tous les détails de ses régiments, sut qu'il y avait un jeune Français qui passait pour sage, qui ne connaissait les débauches d'aucune espèce, qui n'avait jamais été repris d'aucun de ses supérieurs, et dont l'unique occupation, après ses exercices, était d'étudier l'art du génie Voltaire
/ Source 3
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Il y
avait dans Abbeville, petite cité de Picardie, une abbesse
fille
d'un
conseiller d'État très estimé; c'est
une dame
aimable, de moeurs très
régulières, d'une humeur douce et
enjouée,
bienfaisante, et sage sans
superstition.
(...)
Elle fit venir chez elle dans ce temps-là, en 1764, le chevalier de La Barre, son neveu, petit-fils d'un lieutenant général des armées, mais dont le père avait dissipé une fortune de plus de quarante mille livres de rentes : elle prit soin de ce jeune homme comme de son fils, et elle était prête de lui faire obtenir une compagnie de cavalerie ; il fut logé dans l'extérieur du couvent, et madame sa tante lui donnait souvent à souper, ainsi qu'à quelques jeunes gens de ses amis. Voltaire
/ Source 1
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La
généreuse Mme Feydeau de Brou, abbesse de
Villancourt,
élevait auprès d'elle un
jeune homme, son cousin germain, petit-fils d'un
lieutenant-général de vos
armées, qui
était à peu près de mon
âge.
Voltaire
/ Source 3
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Il y
avait dans Abbeville, petite cité de Picardie, une abbesse
fille
d'un
conseiller d'État très estimé; c'est
une dame
aimable, de moeurs très
régulières, d'une humeur douce et
enjouée,
bienfaisante, et sage sans
superstition.
Un habitant d'Abbeville, nommé Belleval, âgé de soixante ans, vivait avec elle dans une grande intimité, parce qu'il était chargé de quelques affaires du couvent: il est lieutenant d'une espèce de petit tribunal qu'on appelle l'élection, si on peut donner le nom de tribunal à une compagnie de bourgeois uniquement préposés pour régler l'assise de l'impôt appelé la taille. Cet homme devint amoureux de l'abbesse, qui ne le repoussa d'abord qu'avec sa douceur ordinaire, mais qui fut ensuite obligée de marquer son aversion et son mépris pour ses importunités trop redoublées. Elle fit venir chez elle dans ce temps-là, en 1764, le chevalier de La Barre, son neveu. (...) Le sieur Belleval, exclu de ces soupers, se vengea en suscitant à l'abbesse quelques affaires d'intérêt. Le jeune La Barre prit vivement le parti de sa tante, et parla à cet homme avec une hauteur qui le révolta entièrement. Belleval résolut de se venger (...) Voltaire
/ Source 1
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Madame
l'abbesse de Villancourt,
monastère d'Abbeville, fille
respectable d'un garde
des sceaux estimé de toute la France presque autant que
celui
qui vous sert
aujourd'hui si bien dans cette place, avait
pour implacable ennemi un
conseiller au présidial, nommé Duval de Saucourt.
Cette inimitié publique,
encore plus commune dans les petites villes que dans les grandes,
n'était que
trop connue dans Abbeville. Madame l'abbesse avait
été
forcée de priver
Saucourt, par avis de parents, de la curatelle d'une jeune personne
assez
riche, élevée dans son couvent.
Saucourt venait encore de perdre deux procès contre des familles d'Abbeville. On savait qu'il avait juré de s'en venger. On connaît jusqu'à quel excès affreux il a porté cette vengeance. Voltaire
/ Source 2
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(...)
Belleval résolut de se venger ; il sut que le chevalier de
La
Barre et le jeune
d'Étallonde, fils du président de
l'élection,
avaient passé depuis peu devant
une procession sans ôter leur chapeau: c'était au
mois de
juillet 1765. Il
chercha dès ce moment à faire regarder cet oubli
momentané des
bienséances comme
une insulte préméditée faite
à la religion.
(...) Le chevalier de La Barre n'avait pas nui à la société en disant une parole imprudente à un valet, à une tourière, en chantant une chanson. C'étaient des imprudences secrètes dont on ne se souvenait plus; c'étaient des légèretés d'enfant oubliées depuis plus d'une année, et qui ne furent tirées de leur obscurité que par le moyen d'un monitoire qui les fit révéler, monitoire fulminé pour un autre objet, monitoire qui forma des délateurs, monitoire tyrannique, fait pour troubler la paix de toutes les familles.(...) Vous retrouverez encore ce même esprit qui fit mettre à prix la tête d'un cardinal premier ministre, et qui conduisait l'archevêque de Paris, un poignard à la main, dans le sanctuaire de la justice. Certainement la religion était plus outragée par ces deux actions que par les étourderies du chevalier de La Barre ; mais voilà comme va le monde. Voltaire
/ Source 1
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Lorsque
le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant
général des armées, jeune
homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance, mais ayant toute
l'étourderie d'une jeunesse effrénée,
fut
convaincu d'avoir chanté des chansons
impies, et même d'avoir passé devant une
procession de
capucins sans avoir ôté
son chapeau, les juges d'Abbeville, gens comparables aux
sénateurs romains,
ordonnèrent, non seulement qu'on lui arrachât la
langue,
qu'on lui coupât la
main, et qu'on brûlât son corps à petit
feu; mais
ils l'appliquèrent encore à
la torture pour savoir précisément combien de
chansons il
avait chantées, et
combien de processions il avait vues passer, le chapeau sur la
tête. Voltaire
/ Source 2
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(Récit
de M. d'Etallonde) La conformité de nos études
nous ayant
liés ensemble, j'eus
l'honneur d'être invité à
dîner avec lui chez
madame l'abbesse, dans
l'extérieur du couvent, au mois de juin 1765. Nous y allions
assez tard, et
nous étions fort pressés; il tombait une petite
pluie;
nous rencontrâmes
quelques enfants de notre connaissance; nous mîmes nos
chapeaux,
et nous
continuâmes notre route. Nous étions, je m'en
souviens,
à plus de cinquante pas
d'une procession de capucins.
Saucourt, ayant su que nous ne nous étions point détournés de notre chemin pour aller nous mettre à genoux devant cette procession, projeta d'abord d'en faire un procès au cousin germain de madame l'abbesse. C'était seulement, disait-il, pour l'inquiéter, et pour lui faire voir qu'il était un homme à craindre. Mais ayant su qu'un crucifix de bois, élevé sur le pont neuf de la ville, avait été mutilé depuis quelque temps, soit par vétusté, soit par quelque charrette, il résolut de nous en accuser, et de joindre ces deux griefs ensemble. Voltaire / Source 3
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(Dépositions
du 28 septembre 1765 ) Le même jour, Antoine Watier,
âgé de seize à dix-sept
ans, dépose avoir entendu le sieur d'Étallonde
chanter
une chanson dans
laquelle il est question d'un saint
qui avait eu autrefois une maladie
vénérienne,
et ajoute qu'il ne se souvient pas du
nom de ce saint. Le sieur
d'Étallonde proteste qu'il ne connaît ni ce saint
ni
Watier.
(Dépositions du 5 décembre 1765) Marie-Antoinette Leleu, femme d'un maître de jeu de billard, dépose que le sieur d'Étallonde a chanté une chanson dans laquelle Marie-Magdeleine avait ses mal-semaines. Il est bien indécent d'écouter sérieusement de telles sottises; et rien ne démontre mieux l'acharnement grossier de Duval Saucourt et de Broutel. Si Magdeleine était pécheresse, il est clair qu'elle était sujette à des mal-semaines, autrement des menstrues, des ordinaires. Mais si quelque loustig d'un régiment, ou quelque goujat, a fait autrefois cette misérable chanson grivoise, si un enfant l'a chantée, il ne paraît pas que cet enfant mérite la mort la plus recherchée et la plus cruelle, et périsse dans des supplices que les Busiris et les Néron n'osaient pas inventer. Voltaire
/ Source 3
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Ma
franchise ne me permit pas de dissimuler que j'étais
catholique,
et que jamais
je ne changerais de religion
(...) On interroge de surcroît le sieur Moinel sur les mêmes articles; et le sieur Moinel répond que non seulement le chevalier de La Barre et le sieur d'Étallonde n'ont point passé devant la procession, et ne se sont point couverts par impiété; mais qu'il a passé plusieurs fois avec eux devant d'autres processions, et qu'ils se sont mis à genoux. Voltaire
/ Source 3
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Il
[Belleval/Duval] chercha dès ce moment à faire
regarder
cet oubli momentané des
bienséances comme une insulte
préméditée
faite à la religion.
Tandis qu'il ourdissait secrètement cette trame, il arriva malheureusement que, le 9 août de la même année, on s'aperçut que le crucifix de bois posé sur le pont neuf d'Abbeville était endommagé, et l'on soupçonna que des soldats ivres avaient commis cette insolence impie. Le sieur Belleval, voyant les esprits échauffés, confondit malicieusement ensemble l'aventure du crucifix et celle de la procession, qui n'avaient aucune connexité. Il rechercha toute la vie du chevalier de La Barre : il fit venir chez lui valets, servantes, manoeuvres; il leur dit d'un ton d'inspiré qu'ils étaient obligés, en vertu des monitoires, de révéler tout ce qu'ils avaient pu apprendre à la charge de ce jeune homme Voltaire
/ Source 1
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Qui,
dis-je, fut le troisième juge avec Duval? Un marchand de
vin, de
boeufs et de
cochons, un nommé Broutel, qui avait acheté dans
la
juridiction un office de
procureur, qui avait même exercé très
rarement
cette charge; oui, encore une
fois, un marchand de cochons, chargé alors de deux sentences
des
consuls
d'Abbeville contre lui, et qui lui ordonnent de produire ses comptes.
Dans ce
temps-là même il avait déjà
un procès
à la cour des aides de Paris, procès
qu'il perdit bientôt après : l'arrêt le
déclara incapable de posséder aucune
charge municipale dans votre royaume. (...) Saucourt et Broutel avaient déterré une sentence rendue, il y a cent trente années, dans des temps de troubles en Picardie, sur quelques profanations fort différentes. Ils la copièrent; ils condamnèrent deux enfants. Voltaire
/ Source 3
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Tout ce
que je sais par les lettres d'Abbeville, c'est qu'il monta sur
l'échafaud avec
un courage tranquille, sans plainte, sans colère, et sans
ostentation: tout ce
qu'il dit au religieux qui l'assistait se réduit
à ces
paroles: "
Je ne
croyais pas qu'on pût faire mourir un
gentilhomme pour si peu de
chose.
"
Voltaire
/ Source 1
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Il n'y a
point en France de loi expresse qui condamne à
mort pour des blasphèmes.
L'ordonnance de 1666 prescrit
une amende pour la
première fois, le double pour la seconde, etc., et le pilori
pour la sixième
récidive. (...)
Lorsque la nouvelle de sa mort fut reçue à Paris, le nonce dit publiquement qu'il n'aurait point été traité ainsi à Rome, et que s'il avait avoué ses fautes à l'Inquisition d'Espagne ou de Portugal, il n'eût été condamné qu'à une pénitence de quelques années Voltaire
/ Source 1
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Grâce
aux monitoires, reste odieux de l'ancienne procédure de
l'Inquisition, Saucourt
et Broutel avaient fait entendre cent vingt témoins, la
plupart
gens de la lie
du peuple; et de ces cent vingt témoins, il n'y en avait pas
trois d'oculaires.
Cependant il fallut tout lire, tout rapporter cette énorme
compilation, qui
contenait six mille pages, ne pouvait que fatiguer le Parlement,
occupé alors
des besoins de l'État dans une crise assez grande.
Voltaire
/ Source 3
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