![]() |
Gambetta (Léon)Aérostier républicain (1838 - 1882)L'action politique de Gambetta a été relativement courte. A trente ans, en 1868, l'avocat plaide éloquemment au procès Delescluze. Il devient un tribun républicain reconnu. Il mourra quatorze ans plus tard. L'imagerie républicaine le montre fuyant en ballon Paris assiégé par les Prussiens pendant la guerre de 1870. Il représente l'intransigeance républicaine face au défaitisme. Parti de Montmartre pour aller à Tours, il atterrit à Amiens. Les transports publics se sont améliorés depuis. |
" Il y
a soixante-dix-huit ans à
pareil jour, nos pères fondaient la république et
se
juraient à eux-mêmes, en face de
l'étranger qui
souillait le sol sacré de la Patrie, de vivre libres ou de
mourir en combattant. Ils ont tenu leur serment, ils ont vaincu, et la
république de 1792 est restée dans la
mémoire des
hommes comme le symbole de l'héroïsme et de la
grandeur
nationale... Que le souffle puissant qui animait nos devanciers passe
sur nos âmes, et nous vaincrons ! "
(proclamation du 21
septembre 1870)
|
" Chers
concitoyens Après soixante douze jours d'un siège sans exemple dans l'histoire, employés tout entier à consacrer, à préparer, à organiser les forces de la délivrance, Paris vient de jeter hors de ses murs, pour rompre le cercle de fer qui l'étreint, une nombreuse et vaillante armée, préparée avec prudence par des chefs consommés que rien n'a pu ni ébranler ni émouvoir dans cette laborieuse organisation de la victoire. Cette armée a su attendre l'heure propice, et l'heure est venue. Excités, encouragés par les fortifiantes nouvelles d'Orléans, les chefs du Gouvernement avaient résolus d'agir, et tous d'accord, nous attendions depuis quelques jours, avec une sainte anxiété, le résultat de nos efforts combinés. C'est le 29 novembre au matin que Paris s'est ébranlé. Une proclamation du général Trochu a appris à la capitale cette résolution suprême, et, avant de marcher au combat, il rejette la responsabilité du sang qui allait couler sur la tête de ce ministre et de ce roi dont la criminelle ambition foule aux pieds la justice et la civilisation modernes. L'armée de sortie est commandée par le général Ducrot, qui, avant de partir, a fait à la manière antique le serment solennel devant la ville assiégée, et devant la France anxieuse, de ne rentrer que mort ou victorieux.(...) " |
" Dès que
Gambetta prit conscience de l'état des affaires, il partit
pour
Le Mans afin de préparer la défense du secteur,
où
pas moins de cinq grandes lignes ferroviaires convergeaient, de Paris,
Rennes, Alençon, Angers et Tours. Les troupes
commandées
par Jaurès
(1)
étaient
dans un état déplorable et il était
absolument
nécessaire de leur apporter du renfort. Il y avait une
importante troupe rassemblée à Conlie, 16
à 20
miles de là. Elle formait " L'armée de Bretagne
", et
était commandée par le Comte Emile de Keratry, le
fils
d'un homme politique et écrivain qui avait
échappé
à la guillotine pendant la Terreur. Le Comte avait
été député pendant le
Second Empire, mais
il avait été soldat avant cela, en
Crimée et au
Mexique. Là-bas, il avait servi sous les ordres de Bazaine.
Au
moment de la Révolution (2),
Keratry
fut nommé préfet de police. Le 14 octobre il
quitta Paris
en ballon, sur demande de Trochu et Jules Favre, avec mission
auprès de Prim
(3)
pour obtenir le soutien
de l'Espagne à la France. Prim et ses collègues
refusèrent d'intervenir et Keratry revint à Tours
où il se mit à la disposition de Gambetta, qui
était un ami très proche. Il fut convenu que
Keratry
rassemblerait tous les hommes disponibles de Bretagne, les
entraînerait et les organiserait. Le camp de Conlie, au nord
ouest du Mans fut établi en cette circonstance. Conlie est le premier endroit que je décidai de visiter en quittant Saint Servan. Les rumeurs les plus inquiétantes couraient en Bretagne sur le camp. On disait qu'il était foncièrement mal géré, et qu'il était le berceau de bien des maladies. Je l'ai visité, et j'ai rassemblé de nombreuses informations. Mon article, paru dans le Daily News, a provoqué un intérêt considérable ; il a été cité dans plusieurs autres journaux londoniens. A deux reprises il a été repris pour des articles de première page. (...) L'approvisionnement en canons, armes à feu, cartouches, baïonnettes et autres armes constituait le sujet de nombreux télégrammes échangés entre Keratry et la délégation de la Défense Nationale à Tours. Le général recevait constamment des promesses de Gambetta, que celui-ci n'honorait presque jamais. Le ravitaillement prévu pour le camp était au dernier moment détourné vers d'autres directions, selon les besoins de l'heure. En outre, la plupart des armes que Keratry recevait étaient défectueuses. Au début, pour entraîner les hommes, on leur fournissait des bâtons (parfois des manches à balais) ". |
![]() |
![]() |
![]() |
" Le
médecin Cuche vient de donner sa démission pour
cause
d'impuissance à soigner les malades dans l'eau.
Reçu
dépêche qui promet armement et encourage
à
maintenir l'ordre. L'ordre existe. On meurt silencieusement. Mais la
mesure est comble. " Telle est la dépêche envoyée le 17 décembre 1870 au Ministre de la guerre par le Général de Marivault, successeur de M. de Keratry au commandement en chef du camp de Conlie. Ce général était en fonction depuis une semaine et n'avait pas encore pu visiter la dixième partie du monstrueux cloaque où pourrissaient cinquante mille hommes. Je crois bien ! Il fallait des manœuvres de pontonniers pour franchir le moindre intervalle et on ne réussissait pas toujours à passer d'une tente à l'autre. On pouvait mourir en chemin. L'Ille-et-Vilaine, Les Côtes-du-Nord et le Morbihan grouillaient dans le marécage. La Loire-Inférieure et le Finistère agonisaient dans dix pieds de fange. Le silence était trop facile : la vase enlise le bruit aussi bien qu'elle enlise un homme, et la foudre même, quand elle s'y égare, devient presque aphone, a l'air de tousser. Si le Général en chef, épouvanté, navré de douleur, indigné profondément de l'inertie ou de l'obstination du ministère, et lui-même soupçonné par ses propres hommes de cette effroyable conspiration contre la Défense Nationale, n'avait, à la fin, pris sur lui l'évacuation de ce lieu de mort, le silence, bientôt, eût été vraiment absolu. Cette foule immense, éclaircie déjà d'un sixième, se fût couchée définitivement dans cette crotte liquide qui semblait monter toujours, et les historiens de la guerre franco-prussienne auraient eu à enregistrer une bataille de plus, la grande victoire de la Boue, remportée sur toutes les forces vives de la Bretagne. " Le camp de Conlie confine à la politique " écrivait M. de Freycinet, valet et bourreau du " Cyclope ". On n'a jamais su pourquoi. Mais il n'en fallut pas davantage pour décider du sort de ces pauvres diables, extirpés de leurs familles, chauffés à blanc sur le devoir de se faire démolir en combattant pour la patrie et qui furent envoyés au pourrissoir. Sur une masse de quarante-cinq bataillons, six seulement furent opposés à l'ennemi, dans les plus atroces conditions imaginables. C'étaient les 2ème et 3ème de la légion de Rennes, le 1er de la légion de Saint-Malo, les 1er, 2ème et 3ème de la légion de Redon-Montfort. Ces troupes n'avaient jamais été exercées ni même armées. Le bataillon de Saint-Malo, par exemple, ne reçut des fusils, hors d'usage d'ailleurs, et non accompagnés de cartouches, que le 7 ou 8 janvier, c'est-à-dire après deux mois de cantonnement dans l'horrible purée mentionnée ci-dessus et trois jours avant l'affaire décisive de La Tuilerie où on les mit en présence des formidables soudards de Mecklembourg. Il paraît que ces fiévreux, mangés de vermine et incapables de défendre leur peau une demi-minute, étaient redoutés comme chouans probables ou possibles. Rien ne prévalut contre cette imbécile crainte et les malheureux furent sacrifiés odieusement dans les circonstances précises où devaient s'accomplir le dernier et suprême effort de la guerre de résistance. Ils le sentaient bien, les infortunés Bretons, qui se révoltèrent plusieurs fois et tentèrent de déserter. On les entendait à Conlie crier : " Partons, retournons chez nous ! A la maison ! A la maison ! " Ce n'était pas un complot ténébreux, mais une résolution annoncée ouvertement, qui désespérait les chefs privés de moyens de répression. L'affreux cloaque les retint plus efficacement que n'eussent pu le faire les quarante gendarmes dont chacun aurait eu à lutter contre un millier d'hommes au désespoir. L'avenir ne le croira pas. On ne pouvait faire un pas sans enfoncer à mi-jambe. On eût dit que des mains flasques et puissantes saisissaient, au fond de chaque ornière, les sabots des misérables que les fournisseurs de l'intendance, persuadés de l'insolvabilité du camp, s'obstinèrent à ne pas chausser. Quand les hommes avaient accompli les corvées indispensable à la quotidienne existence, ils étaient à bout de force, à moitié morts d'épuisement. On voyait des êtres jeunes et robustes, les plus intelligents peut-être, dont on eut pu faire des soldats, s'arrêter, privés d'énergie, enfoncés dans la boue jusqu'aux genoux, jusqu'au ventre, et pleurer de désespoir. Il faut l'avoir connu, ce supplice de ne jamais pouvoir se coucher ! Car cette foule condamnée à mort -pour quel crime, grand Dieu ? - vit recommencer la chose qui n'a pas de nom, l'horreur sans mesure, et qui n'était encore arrivée qu'une seule fois, du célèbre naufrage de la Méduse. Une masse d'hommes forcées d'agoniser pendant des semaines, debout, les jambes dans l'eau ! ... Et encore, les naufragés de l'Atlantique n'étaient pas sans espérance de s'étendre, un jour, fût-ce pour mourir. Chaque fois que l'un d'eux, tué par l'inanition ou gobé par un requin, disparaissait, le radeau, allégé d'autant, remontait d'une toute petite ligne. D'homicides bousculades s'ensuivirent. Ces " humains au front sublime ", comme disait Ovide, faits pour contempler le ciel, étaient moins rongés par la famine que par l'ambition de revoir enfin leurs pieds... A Conlie, cette ambition et cet espoir étaient impossible. Plus on crevait, plus la boue montait. Si, du moins, c'eût été de la bonne boue, de la saine argile délayée par des météores implacables ! Mais comment oser dire ce que c'était, en réalité, cette sauce excrémentielle ou les varioleux et les typhiques marinaient dans les déjections d'une multitude ? Même après vingt ans, ces choses doivent être dites, ne serait-ce que pour détendre un peu la lyre glorieuse des vainqueurs du Mans qui eurent, en vérité, la partie beaucoup trop belle. Il ne serait pas inutile, non plus, d'en finir, une bonne fois, avec les rengaines infernales dont nous saturent les moutardiers du patriotisme sur l'impartialité magnanime et le désintéressement politique de certains organisateurs de la Défense. " (Extrait
de " La boue ", dans Sueur de sang,1894).
|
En 1881, après la chute du
gouvernement Ferry, Gambetta était le seul des grands chefs
républicains à n'avoir pas exercé le
pouvoir. Il y
fut appelé par le président Grévy.
Dès que
Gambetta créa son " Grand ministère " et
à la
lecture de la déclaration ministérielle du 15
novembre
1881, le soupçon de dictature apparut chez les
représentants du peuple. Ceux-ci prirent conscience que
Gambetta
entreprenait de gouverner comme en 1870, sans consulter les
assemblées. Le 14 novembre Gambetta avait fait signer au Président un décret instituant, sans l'avis des Chambres, deux nouveaux départements ministériels (de l'Agriculture et des Beaux-Arts). Gambetta annonçait d'emblée son intention d'écarter l'activité administrative des ingérences parlementaires, et de renforcer le pouvoir bureaucratique aux dépens de la représentation populaire. Son ministre de l'intérieur, Waldeck-Rousseau, envoya aux préfets une circulaire dans le même sens. Le " Grand ministère " de Gambetta fut renversé le 26 janvier 1882 après 74 jours d'exercice, en particulier sous l'impulsion de Clémenceau. |
![]() |
" Est-ce qu'on
osera venir à cette tribune et dire que j'ai, sous la
suggestion
de je ne sais quelle avilissante pensée qu'on
décore du
nom de dictature, et qui ne serait que la risée du monde si
je
pouvais descendre jamais à la conception d'une pareille et
si
misérable idée... A qui donc fera-t-on croire que
je
viens ici, après que vous m'avez imposé
l'honneur, que
j'avais considéré comme une récompense
de quelques
services que j'ai pu rendre, après, dis-je, que vous m'avez
imposé l'honneur de prendre les affaires, à qui
fera-t-on
croire que j'emploie ce que je puis avoir d'autorité morale
et
intellectuelle à vous nuire, à vous
discréditer,
à entraver l'œuvre commune commencée
depuis douze
ans, parce que je ne peux plus m'appuyer sur vous pour atteindre autant
que possible la perfection de notre œuvre ? Messieurs, j'ai partagé, vous l'avez tous vu, et je puis bien dire que des adversaires généreux et loyaux qui sont là peuvent l'attester, j'ai partagé avec vous la lutte au grand jour contre les adversaires de la République, que j'ai combattus non à cause de leurs personnes, non à cause de leurs doctrines, mais parce qu'il m'apparaissait, comme il m'apparaît encore, que leur triomphe n'était pas compatible avec la liberté, la prospérité et la grandeur de la France moderne. (...) Comment ! Réclamer pour les Assemblées la base la plus large, le nombre de suffrages le plus étendu ; chercher dans ce recrutement des mandataires du pays la somme de force qui les élève le plus, qui met leur intelligence et leurs idées générales au-dessus de toute espèce d'attaches et de difficultés locales ; créer ou rêver de créer - car vous êtes les maîtres de dire si cette conception naîtra ou si elle mourra- chercher à créer des Assemblées fortes, irrésistibles, grandies par elles-mêmes, grandies pour le pays, c'est préparer le gouvernement personnel ? (...) Mais oui, Messieurs, je n'ai pas l'habitude de dire ce que je ne pense pas. Il m'est très douloureux d'être en dissentiment avec mes amis, mais je crois et je croirais toujours qu'on n'est pas au pouvoir pour ne pas appliquer ses idées. Ce que je demande à la Chambre, c'est de bien vouloir en écouter l'exposé, la défense ; c'est elle qui ratifie ou rejette, mais je pense que le pouvoir n'est qu'un jouet absolument sans valeur et sans prix si celui qui le détient n'y met en pratique les idées qu'il professe . (...) On dit " Vous voulez favoriser une campagne dissolutionniste contre la Chambre des Députés ". Au contraire, oui. Il est nécessaire d'aller au fond de cet argument, car c'est celui dont on a le plus usé et abusé. Je crois que la dissolution ne peut, ni en droit ni en fait, être présentée comme autre chose que comme une chimère. " (...) |
"
Plus nous avancerons en
âge et plus
la République, avec ses tendances
décentralisatrices, ses
préjugés démocratiques
poussés à
l'excès, verra se dissoudre ses forces et ses ressources en
soldats et en argent. L'égalité, c'est-à-dire pour l'armée l'indiscipline et l'incohésion ; la liberté, c'est-à-dire la critique poussée jusqu'au dénigrement et à la calomnie contre les chefs et les lois de répression ; la fraternité, c'est-à-dire le cosmopolitisme, l'humanitarisme, la bêtise internationale, nous dévoreront (...). Il ne reste plus que cette fragile espérance, d'ici un an au plus : dissoudre la Chambre, et grâce au scrutin de liste, consulter à nouveau le pays républicain et lui demander de choisir entre la constitution d'un pouvoir fort et l'anarchie (...) ". |